Paris, le vendredi 18 juin 2010
Décès du général Marcel Bigeard
Communiqué d'Hervé Morin, ministre de la Défense
Le 18 juin 2010, jour anniversaire de l'Appel du général de Gaulle, le général de corps d'armée Marcel Bigeard vient, à l'âge de 94 ans, de quitter, debout, le ring sur lequel il disait, avec un sourire un peu narquois, livrer son dernier round.
L'indicatif « Bruno » vient de quitter le réseau radio pour rejoindre, la cohorte de ses chers compagnons d'armes tombés à ses côtés au champ d'honneur. Parlant de la mort du
sergent-chef Sentenac qui l'a précédé sur cette piste sans fin un jour de novembre 1957, le général Bigeard écrivait « Ce qu'il cherchait de l'autre côté de la crête, c'était cette chose impossible qui le hantait depuis si longtemps et qui ne se trouve que dans le sacrifice et la mort. Seule, elle permet de se confondre avec ce qu'il y a de plus grand, de plus inaccessible. » Bigeard, car ce nom à lui seul vaut tous les titres de gloire et tous les grades, sait maintenant ce qu'il y a de l'autre côté de la crête. Il est parti avec dans les yeux les plus beaux tableaux qu'il disait pouvoir imaginer : « une descente en pirogue de la rivière Noire au petit matin dans un paysage dont personne n'a idée. Un coucher de soleil sur les sables de Timimoun. Une nuit d'enfer à Dien-Bien-Phu, zébrée d'éclats de feu... »
Bien plus qu'un chef, le général Bigeard, est un meneur d'hommes. Celui vers qui les regards se tournent naturellement dans les moments les plus difficiles ; celui qui cultive le goût de l'exigence et de la « belle gueule », celui qui enseigne que pour « être et durer » il faut être souple comme le cuir et trempé comme l'acier. Il y a un style Bigeard pour les « para-colo », comme il y a un style Lassale pour les hussards ou Surcouf pour les marins. Ce style, cet esprit, il les résumait par ces mots : « L'astuce et la fougue, l'audace et la furia francese, l'intelligence du combat, le sens du terrain, le flair du danger, le goût de la manœuvre, la souplesse de l'approche, tout cela qui rend le parachutiste français le plus para des aéroportés. »
Blessé cinq fois, titulaire de 24 citations individuelles, le général Bigeard est le type même du combattant perpétuel. Du stalag 12A, dont il s'évade après trois tentatives infructueuses,
au maquis de l'Ariège ; des cuvettes de Ban Som et de Dien-Bien-Phu en Indochine aux djebels algériens ; de Madagascar au Sénégal, il n'avait de cesse de conduire ses « lézards verts » pour quelques parcelles de gloire.
Le 30 janvier 1975, le général Bigeard passe, dit-il de la « Brousse à la Jungle » en acceptant de s'engager en politique et d'occuper les fonctions de secrétaire d'Etat à la Défense. Rien ne peut le départir de ce style para qu'il cultive avec un soin attentif. A l'huissier qui lui demandait s'il devait l'appeler « Mon général » ou « Monsieur le ministre », il répond avec son légendaire franc-parler : « J'ai mis 30 ans pour être général, une demi-heure pour être ministre, alors appelez-moi Mon général ». Quel que soit le théâtre d'opération, et le monde politique en est un pour le baroudeur qu'il est, il n'a qu'une passion : servir son pays. Inlassablement, il parcourt les champs de manœuvre et les popotes avec l'enthousiasme dont il aime lire le reflet dans les yeux de ses « p'tits gars ». Sous l'autorité de son ministre,
Yvon Bourges, il se lance dans le vaste chantier de la modernisation de nos armées et de ses équipements et se bat avec une profonde conviction pour le développement de l'esprit de défense.
Mais l'indépendance qu'il chérit par-dessus tout et le goût de l'aventure qui le tenaille, le poussent à reprendre sa liberté. Non pas pour se retirer dans une retraite oisive, mais pour mettre son énergie au service de ses idées. Elu député UDF de Meurthe-et-Moselle en 1978, il va pendant dix ans continuer le combat pour la défense de la France, en assumant en particulier la présidence de la commission de la défense de l'Assemblée nationale.
Bigeard sait que la transmission c'est la prolongation de l'action mais par d'autres moyens. Pestant contre les effets de l'âge, il se penche alors vers ses soixante années d'engagement. Non pas seulement pour commémorer le souvenir des années passées et celui de ses camarades disparus, mais surtout pour éclairer l'avenir qu'il analyse avec exigence et intransigeance.France, réveille-toi !, Lettres d'Indochine, Le siècle des héros, Crier ma vérité... pas moins de 16 ouvrages de souvenirs et de réflexions et autant de passions et de coups de gueule.
« Avec ce Dernier Round, je veux transmettre, encore transmettre, avant le grand départ. Mais j'ai le sentiment que je n'aurai pas le temps de dire, tout ce que je voudrais dire... », écriviez-vous en conclusion de votre dernier ouvrage. Mon général, sachez que l'amour passionné et jaloux de votre chère France, que vous laissez en héritage, sera précieusement transmis.
A son épouse Gaby et à sa fille Marie-France, j'adresse en mon nom et celui de toute la communauté de défense, mes plus chaleureuses et sincères condoléances et je m'incline avec respect devant la mémoire de tous ceux qui aux côtés du général Marcel Bigeard sont tombés pour une certaine idée de la France.